« Les lettres d’intention : une sûreté efficace ? »
Si le crédit repose sur la confiance, il demeure avant tout étroitement lié à notre droit des sûretés. Ceux qui pensent encore que les créanciers se satisfont du respect de la parole donnée pour seule garantie, peuvent dès à présent passer ces pages. Et pour cause, dans un monde où la confiance n’est plus, on se rassure tant bien que mal au royaume des garanties. Tant bien que mal, la précision prend ici tout son sens puisque cette branche de notre droit subit plus que tout autre, les changements de notre climat économique.
A-t-on besoin de rappeler que les sûretés réelles sont passées de mode? D’un formalisme rigoureux dans sa constitution et sa réalisation, l’hypothèque, « ex reine des sûretés », assiste fatalement à la fin de son règne, détrônée par les objectifs du droit des entreprises en difficulté. Inspiré par le maintien de l’activité et de l’emploi, le gage ne pouvait que lui aussi être relayé dans les bas-fonds du classement des créanciers, primé par d’autres privilégiés, ces « nouveaux riches » des procédures collectives.
Dépérissement des sûretés réelles mais également des garanties personnelles. Le contrat de cautionnement tracasse, énerve même les juristes, en raison d’attention trop généreuse du législateur et de la jurisprudence. La protection du consommateur, via les obligations d’information, de mention manuscrite et de proportionnalité, donne au créancier des migraines juridiques. Certes, on a pu croire que le remède miracle viendrait de la garantie à première demande. Un mirage… Pas plus ! De tels engagements, dont l’autonomie est désormais remise en doute, ont tendance à être requalifiés en cautionnement par les tribunaux.
Dans un contexte où, de toute évidence, les sûretés ne sont plus sûres, voici que les praticiens ont tenté de redorer le blason de la liberté contractuelle. À la recherche d’un équilibre entre liberté et sécurité, les lettres d’intention se sont inscrites du moins au départ, dans cette quête de la sûreté idéale. Définie par le doyen Cornu, la lettre d’intention ou lettre de confort ou lettre de parrainage, est « une lettre par laquelle une société intervient auprès d’une banque afin que celle-ci accorde son concours à une société filiale en promettant son renfort ». Cette pratique juridique, qui a trouvé sa source dans les pays de Common Law a été accueillie en France voilà maintenant un quart de siècle. Vu les relations tant financières qu’économiques, qui unissent filiale et société-mère, on comprend aisément que les créanciers, s’appuyant enfin sur une solvabilité indiscutable du souscripteur aient pu enfin dormir tranquille.
Éviter des nuits agitées au banquier, voilà une bonne chose, mais les lettres d’intention regorgent de plus d’une qualité pour le promettant.
Simple dans la constitution et dans la réalisation, cet acte unilatéral n’est régi par aucune législation spéciale, ce qui lui permet de contourner la rigidité du régime des garanties et cautionnements du droit des sociétés. Facilité, mais également confidentialité ! En effet, de tels engagements, ne constituant pas des garanties, du moins jusqu’en 1990, n’avaient pas à figurer en annexe du bilan (articles 342 la loi de 1966 et 232-1 du nouveau Code de commerce), évitant ainsi à la société mère de réduire son assiette financière, et donc sa capacité d’emprunt. Une liberté qui offre des atouts indéniables, mais il ne faut pas s’y tromper, le succès remporté par les lettres d’intention sera de courte durée. Si la liberté contractuelle offre la souplesse juridique tant recherchée, elle demeure avant toute une arme dangereuse, de la nitroglycérine juridique à manier avec la plus grande précaution. Engagement d’honneur, obligation de faire, de ne pas faire, de moyens, de résultat… Les juristes devaient nécessairement, au gré des déboires de la jurisprudence, y perdre leur latin. Dans une pratique ou le poids des mots prend tout son sens, la liberté contractuelle, au départ légère et vivifiante, allait fatalement finir par s’alourdir.
Aussi si l’on voyait au travers de la variété des lettres d’intention un avenir prometteur pour la liberté contractuelle, il s’est vite avéré que cette liberté tendait vers l’insécurité en raison des doutes jurisprudentiels.
La liberté contractuelle, un avenir prometteur au service de la diversité
Au commencement, les praticiens émerveillés une fois de plus par les anglo-saxons, se sont contentés de recopier servilement des formules pré imprimées. Le temps de la paresse intellectuelle passée, les juristes ont donné libre cours à leur imagination contractuelle et firent naître une multitude de lettres d’intention. Gouvernée par le principe d’autonomie de la volonté, la société mère pouvait alors s’engager sur son seul honneur ou bien promettre de payer, de faire ou encore de ne pas faire.
S’engager sur l’honneur
L’émetteur d’une lettre d’intention, dont le souci sera toujours de limiter son engagement, pourra choisir de s’obliger sur l’honneur ou en conscience. Dans une civilisation qui est la nôtre, où héroïsme ou aristocratie sont passés de mode, parler d’engagement d’honneur semble relever de la fable juridique. Dominé par le profit, le capitalisme dans sa quête de sécurité, ne peut se satisfaire d’une simple réputation pour seule garantie.
Cela est bien regrettable mais le droit n’est pas une affaire de sentiments !
On comprend alors aisément que l’engagement d’honneur ne saurait produire des effets de droit, et qu’il reste conditionné par le seul devoir de conscience qui anime son auteur.
À ce titre le doyen Ripert rappelle « qu’il n’y a pas d’autre obligation que l’obligation civile car il ne peut y avoir d’obligation qui n’oblige pas, toute la question est de savoir comment le devoir moral peut se transformer en obligation civile. Si impérieux que soient les devoirs de conscience, ils ne parviennent pas toujours à la vie juridique parce que le législateur ou le juge, n’osent pas exiger par la force leur accomplissement : il arrive alors quelquefois que ses devoirs moraux se présentent seulement sous la forme d’une obligation naturelle ».
À la lecture de ce sermon, il semble donc que les engagements d’honneur ne fassent pas partie du monde juridique. Pourtant si la société mère choisit de ne pas s’engager en droit strict, nul doute qu’elle entend néanmoins lier l’effectivité de ces liens à la réputation du milieu d’affaires auxquelles appartiennent les parties. À ce titre l’Association Professionnelle des Banques a rappelé que, dans les usages bancaires, « la lettre par laquelle une société de renom indiscutée sur le plan tant de la morale commerciale que de l’assise financière parraine une société qu’elle contrôle pour l’obtention ou le maintien d’un crédit, constitue un engagement moral d’assurer la bonne fin du crédit et qu’une telle lettre est considérée comme présentant en pratique, une sécurité comparable à celle d’un engagement de caution ».
Que les parties aient voulu ou non se situer sur le terrain de l’engagement moral importe peu au juge, qui dans son appréciation souveraine, ne s’estime nullement lié par l’intention des parties, et n’hésite pas selon les usages, à sanctionner juridiquement de tels engagements. Finalement, les lettres d’intention contenant des engagements d’honneur ne doivent pas dégénérer en des promesses de se désengager. Pour combattre ce paradoxe, c’est tout le droit des obligations de la morale des affaires qui doit être utilisé pour consolider le respect de la parole donnée et donner ainsi à ses gentlemen agreements, force et honneur juridique.
Mais l’incertitude des engagements moraux ne tranquillise pas le créancier, la société mère peut alors promettre de payer, de faire ou encore de ne pas faire.
S’engager à payer, à faire, ou à ne pas faire
Un engagement de payer
La société mère peut ainsi s’engager à se substituer en cas de défaillance du débiteur principal. L’obligation de l’auteur étant subordonnée à celle du crédité, une telle lettre se révèle aux yeux de la jurisprudence, être ni plus ni moins qu’un cautionnement. L’interprétation de la lettre d’intention relevant de leur pouvoir souverain, les tribunaux n’hésitent pas à dénicher les cautionnements déguisés. L’aigle de la requalification plane sur ceux qui ont voulu jouer au petit jeu du chat et de la souris. Le régime du cautionnement étant applicable, la caution pourra toutefois se libérer de son engagement en opposant les exceptions inhérentes à la dette.
Quand aux conditions de forme, si la jurisprudence a considéré que le cautionnement devait être exprès, elle ne l’a pas pour autant soumis à une formule sacramentelle. Si la mention manuscrite demeure substantielle pour la protection des particuliers, elle n’est pas requise pour les dirigeants des sociétés. Il n’est de toute façon pas recommandé d’étendre la gamme des lettres d’intention au profane, une telle institution nécessite d’être conservée par le monde des affaires. Nul doute que le cautionnement, par le paiement de la dette du tiers conforté, réalise un paiement direct. Mais tout le mystère du régime des lettres d’intention tient à la fréquente imprécision des formules employées. En voici une série d’exemples : « nous assurerons la couverture des besoins financiers de notre filiale en tant que de besoin auprès de vous », « nous prenons toutes les dispositions nécessaires pour que notre filiale soit en mesure de tenir ses engagements à votre égard », « nous ferons tout le nécessaire pour que notre filiale dispose d’une trésorerie suffisante lui permettant de faire face aux obligations par elle contractées avec vous ».
À la vue de ces formules, force est de constater que si le souscripteur promet un résultat, il ne s’engage pas forcément à se substituer en cas de défaillance de sa filiale. Et c’est tout l’avantage de la liberté contractuelle ! La souplesse de l’institution lui permet ainsi de ménager selon son bon vouloir le résultat promis. On glisse alors d’un engagement de payer à une obligation de faire ou la société mère, loin de se substituer à l’image d’une caution, sera tenue d’accomplir une prestation positive.
Engagement à faire, à ne pas faire, à ne rien faire.
Engagement type, la société mère pourra s’engager à ne pas céder sa participation dans le capital de sa filiale. Moins exigeant, le créancier pourra se contenter d’un simple avertissement au cas où la société mère souhaiterait vendre ses titres. Mais l’obligation de faire recouvre plus d’une réalité : apports en comptes courants, versement de commissions, maintien des liens commerciaux, accord d’un crédit fournisseur, contrôle de la gestion pour que la filiale assure un certain chiffre d’affaires, autant d’obligations spéciales qui offrent à l’auteur une série de moyens juridiques pour rassurer le créancier.
Il ne s’agit pas ici d’une garantie de paiement à proprement parler, ni d’engagement accessoire à l’obligation principale. Mais ce type de clause sera juridiquement sanctionné sur le plan de la responsabilité contractuelle. Une telle obligation ne saurait en effet dégénérer en un engagement à ne rien faire.
La liberté contractuelle génère ainsi une diversité qui ne peut que plaire aux souscripteurs. Mais la diversité engendre la complexité ! Aussi, cette liberté tant adorée allait bien finir par nuire aux lettres d’intention. À vouloir contracter sans s’engager, les lettres devenaient de plus en plus ambiguës et de moins en moins crédibles et les tribunaux de leur côté, ne pouvaient que se perdre au petit jeu du cache-cache juridique.
La liberté contractuelle, victime malheureuse des tourments jurisprudentiels
En application des articles 98 et 128 de la loi de 1966 (L.225–35 et L.225-68 du nouveau Code de Commerce), les engagements de caution, avals et garantie ne peuvent être valablement pris qu’à condition d’avoir été préalablement autorisés par le conseil d’administration. Ainsi, l’efficacité lettre de confort est-elle conditionnée au respect du formalisme du droit des sociétés, ce qui a naturellement amené les juges à se demander si les lettres d’intention relevaient ou non d’une garantie. En l’absence de définition légale de la notion de garantie, les analyses doctrinales se révèlent d’une grande divergence. Faut-il en vouloir à la jurisprudence qui hésite, tâtonne, à la recherche d’un critère décisif de la notion de garantie ?
Si l’on a pu croire que la garantie était seulement liée à un engagement juridique ferme et définitif, la Cour a récemment retourné sa veste, pour adopter une distinction traditionnelle entre obligation de moyens et de résultat, qu’elle avait pourtant paru abandonner.
La garantie : un engagement juridique ferme
Il fut un temps où doctrine et jurisprudence marchaient ensemble, la garantie était soumise à une interprétation souple, ce qui respectait la volonté des parties.
Une interprétation souple pour une meilleure protection espace
La raison traditionnellement avancée est que ces engagements font peser des risques lourds sur la société, et ne peuvent donc être pris sans qu’une réflexion préalable destinée à mesurer leur importance ait été effectuée. Or, il ressort de la jurisprudence consacrée à la lettre de confort, qu’un tel engagement fait naître des obligations bien plus étendues que celles créées par le cautionnement. Dans un arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 10 mars 1989, l’effort consenti par la société mère était jusqu’à six fois supérieurs aux crédits octroyés à la filiale confortée.
Dans ces conditions, mieux vaut accepter une interprétation large de la notion de garantie pour une meilleure protection de la société mère. Une telle interprétation n’est pas seulement suggérée par la lourdeur de l’engagement, mais également pour des incidences comptables. L’article 340 de la loi de 1966 prévoit en effet, que doit figurer à l’annexe du bilan un état des cautions, avals et garanties donnés par la société. Les documents comptables ont pour fiction de refléter l’image du patrimoine, de la situation financière du résultat de l’entreprise (article L.123–13 du nouveau Code de Commerce). Dès lors, une lettre d’intention se doit de figurer automatiquement à l’annexe. Si tel n’était pas le cas, associés et tiers seraient dans l’ignorance d’un engagement d’une importance telle, que sa non-inscription fausserait l’exactitude imposée à l’article 9 du Code de Commerce. Une interprétation souple de la notion de garantie commande ainsi l’effectivité du droit à l’information, dont on connaît l’importance dans le droit des sociétés.
Une interprétation fidèle à la volonté des parties
Certes, un engagement ne saurait naître sans un accord de volonté. Les signataires des lettres d’intention tentaient rapidement d’invoquer l’absence d’acceptation des destinataires, pour dénier toute force obligatoire de leurs engagements. La Chambre Commerciale s’est empressée de neutraliser cet argument en tenant compte de la commune intention des parties pour se contenter d’une acceptation tacite. Dès lors, malgré son caractère unilatéral, une lettre d’intention peut selon ses termes, lorsqu’elle a été acceptée par son destinataire, constituer à la charge de celui qui l’a souscrite un engagement contractuel. Cet inconvénient écarté, pourquoi la garantie devrait-elle se résumer au sein l’engagement juridique ? La réponse est simple, il suffit de se reporter à la volonté des parties. Ainsi pour Messieurs Cabrillac et Mouly, les lettres d’intention sont des garanties tout simplement parce que l’objet même de ces conventions est bien de garantir le créancier d’une défaillance du débiteur. Ainsi, à partir du moment où cette volonté de garantir se traduit par des obligations juridiquement sanctionnées, il semble difficile de donner aux lettres d’intention une autre qualification que celle de garantie. C’est ce que soutenait également le professeur Michel Jeantin, dans une note publiée à l’occasion d’un arrêt de la Cour d’Appel de Paris en date du 13 janvier 1989. Pour lui, « l’essentiel pour l’application des articles 98 et 128 est que la lettre d’intention contienne un véritable engagement juridique dont l’exécution pour le bénéficiaire emportera l’obligation pour la société souscripteur de payer une somme d’argent, ne serait-ce qu’en raison de la résolution en dommages et intérêts d’une obligation de faire non exécutée spontanément. À l’appui de cette thèse, on peut citer les arrêts rendus par la Cour de Cassation les 17 novembre 1992, 8 novembre 1994, 3 janvier 1996 et 9 décembre 1997.
Cette jurisprudence est en accord avec celle des juges du fond qui refuse de distinguer entre obligation de moyens et obligation de résultat. Il ressort ainsi que les articles 98 et 128 devraient s’appliquer, dès lors que l’intention des parties indique la volonté de s’engager juridiquement. L’arrêt du 9 novembre 1997 est à ce titre particulièrement intéressant compte tenu des termes de la lettre. La société mère avait déclaré à la banque créancière que seraient étudiées en commun les mesures à prendre pour permettre à la filiale de faire face au remboursement de ces crédits. Pas de volonté apparente de se substituer, il ne s’agit pas d’un cautionnement déguisé, chacun étant donc en droit d’attendre la distinction entre les obligations de moyens et de résultats. Au diable la distinction nous dit la Cour de Cassation, dès lors que « la société s’est engagée à faciliter la solvabilité de la filiale, en cas de défaillance financière de sa part ». En dépit d’une formulation imprécise, il ne faut pas s’y tromper, le raisonnement de la Cour porte bien sur la finalité des obligations mises en cause. L’engagement de payer n’est donc pas le critère déterminant pour être tenu à garantie, il suffit que la lettre contienne des engagements précis, de faire , de ne pas faire, contribuant à sauvegarder la solvabilité de la filiale.
Notons à ce titre que la banque invoquait de façon pertinente qu’aucune autorisation n’était requise lorsque la garantie portait sur les engagements de la société elle-même. En effet l’article 98 précise que la garantie doit avoir été stipulée au profit d’un tiers. Peut-on affirmer que la filiale confortée est véritablement un tiers au regard de la société mère ? En espèce, la filiale était détenue à 99 % par la société mère, peut-on la considérer comme un tiers au sens de l’article 98 ? Certaines juridictions du fond avaient répondu par la négative. Mais la Cour de Cassation a rejeté cet argument en1982 et en 1997, solutions qui ont le mérite de clamer haut et fort le principe d’autonomie de la personnalité morale sur le groupe. Reste que cet arrêt paraissait annoncer la fin de la tourmente des lettres d’intention, en qualifiant de garantie un engagement juridique ferme et définitif. Pourtant à l’heure où la jurisprudence précitée semblait bien installée, un arrêt récent est venu tout remettre en cause.
La lettre d’intention est désormais, ou pour être plus exact de nouveau, une garantie à la condition qu’un engagement juridique existe, mais surtout qu’il s’analyse en obligation de résultat.
L’existence d’un engagement juridique créant une obligation de résultat : nouveau critère de la garantie
À la lumière de l’arrêt du 26 janvier 1999, il faut croire que l’on est plus sûr de rien, que la Cour de Cassation, un peu nostalgique, a décidé de renouer avec son passé jurisprudentiel. Lunatique, la Cour manifeste ainsi non pas un revirement puisque revirement il y eut, mais plutôt un changement d’humeur. Ce faisant, elle adopte inévitablement une conception étroite de la notion de garantie ce qui n’est pas exempt de critiques.
Interprétation restrictive de la notion de garantie
Les évidences méritent toujours d’être rappelées. L’article 98 de la loi 1966 introduit une exception au principe de la plénitude des pouvoirs du président du conseil d’administration, énoncée à l’article 113 alinéa 3 de la même loi.
Une telle conception restrictive n’est pas nouvelle. La Cour suprême semble avoir regretté sa folle jeunesse des arrêts du 21 décembre 1987 et du 23 octobre 1990 sur lesquels il convient de revenir quelque temps. Un retour… Vers le futur !
En 1987, l’interprétation réductrice de la notion de garantie était inévitable, compte tenu des faits de l’espèce. La lettre prévoyait en effet que « la société mère s’engageait à soutenir sa filiale pour ses besoins financiers et si nécessaire, à se substituer à elle pour faire face à ses engagements ».
L’arrêt de 1990 est quant à lui beaucoup plus explicite puisqu’il indique que la lettre litigieuse contenait une obligation de résultat dès lors « qu’elle était de nature à rendre son auteur responsable des conséquences de la défaillance du débiteur ». C’est parce que la lettre prévoit une telle obligation de résultat, un cautionnement déguisé, qu’elle est considérée comme une garantie et est donc soumise aux dispositions des articles 98 et 128. Après avoir été longtemps en sommeil, la distinction obligation de moyens et obligation de résultat se réveille un an avant le nouveau millénaire telle une belle juridique au bois dormant. La solution de la Cour de Cassation est nette, clair et sans bavure ! Les engagements ayant donné naissance à une obligation de moyens ne constituent pas des garanties, a contrario les lettres d’intention contenant une obligation de résultat demeurent soumises à l’autorisation prévue à l’article 98.
Cela dit, la Cour n’éclaire nullement la lanterne du praticien sur la question essentielle. Comment est déterminée l’obligation de résultat ?
Dans son arrêt de 1990, la Cour a retenu que l’obligation de faire tout le nécessaire devait s’analyser en une obligation de résultat (petit parallèle en droit médical l’obligation du médecin qui doit faire tout le nécessaire n’est que de moyens…). En 1999, l’engagement de « faire tout le nécessaire pour la bonne exécution des engagements qui ont été signés ce jour par la société filiale en vous garantissant que nous nous organiserons pour que celle-ci puisse honorer les trois premières semestrialités », a été analysé… comme une simple obligation de moyens.
Étonnant ! Et pourtant… pas tant que ca, puisque par la lettre d’intention, l’auteur s’engage à adopter une attitude déterminée (faire ou ne pas faire), dont le créancier a des raisons d’espérer qu’elle conduira le débiteur à s’exécuter en raison des liens unissant celui-ci au promettant. Ce dernier s’engage donc à réparer les conséquences d’une violation de sa propre promesse, et non de la défaillance du débiteur. On est bien loin du risque qui pèse sur la société quand elle se porte caution. C’est parce qu’elle devient responsable pour une dette dont elle ne contrôle pas la gestion que le législateur a accordé à la société mère, la protection représentée par l’exigence d’une autorisation préalable. Mais dans notre cas, tel risque n’existe pas, l’autorisation préalable propre aux garanties n’était donc pas nécessaire. C’est ce que la Cour de Cassation affirme d’ailleurs dans l’arrêt, en proclamant que la mère n’ayant prit l’engagement de payer en lieu et place de sa sous-filiale, il n’y a pas de garantie au sens de l’article 98. Il semble donc pour la Cour de Cassation, que l’obligation de moyens n’est pas une garantie car elle n’est pas assimilable à l’engagement de payer.
Critique de la doctrine effarouchée
A l’heure où la doctrine tout entière avait cru pouvoir lire entre les lignes des lettres d’intention, pour y déchiffrer les mystères de son régime juridique, l’arrêt de la Cour ne pouvait malheureusement que les décevoir. Vexés de s’être trompés, les commentateurs firent couler à flot leur encre pour assassiner une distinction qui, pour la plupart n’en vaut plus la peine. Le tableau ci-dessous montre que selon les formules employées, la distinction obligation de moyens obligations de résultat est par essence imprécise.
Formule employée | Nature de l’obligation |
Nous vous promettons que | Obligation de résultat |
Nous prendrons les dispositions pour que | Obligation de résultat |
Nous vous garantissons que | Obligation de résultat |
Nous ferons en sorte que | Obligation de résultat |
Nous ferons les meilleurs efforts pour que | Obligation de moyens |
Nous ferons tout notre possible pour que | Obligation de moyens |
Nous mettrons tout en œuvre pour que | Obligation de moyens |
Nous veillerons à ce que | Obligation de moyens |
L’une n’est pas l’inverse de l’autre, entre le moyen et le résultat, la jurisprudence a découvert une palette de couleurs, un arc-en-ciel qui peut virer de l’obligation de moyens à l’ obligation de résultat, en passant par l’obligation de moyens renforcée, de résultat atténué… Autant de facteurs source d’insécurité juridique. Bien heureux celui qui saura si une lettre d’intention contenant une obligation de moyens renforcée constitue ou non une garantie !
Imprécision, la plume des auteurs ajoute que la distinction chère à Demogue, fait voler en éclats la notion même de garantie. Le Professeur Simler rappelle très justement que « soit la lettre d’intention est une garantie, soit elle ne l’est pas. Il paraît difficilement justiciable qu’elle le soit dans un cas et non dans l’autre, car s’il y a entre obligation de moyens et de résultat une différence de degré, il n’y a pas de différence de nature ». Sur le plan pratique, la solution ne manque pas de frôler le paradoxe, puisqu’en l’absence d’autorisation préalable, l’obligation de moyens finira par libérer les signataires.
L’effet pervers est constaté : l’obligation de moyens est bien plus contraignante que l’obligation de résultat.
Les établissements de crédit ont donc toutes les raisons de craindre l’effectivité de la garantie octroyée par la société mère. Et cela d’autant plus que la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation semble avoir définitivement réglé la question de la responsabilité personnelle du dirigeant, qui n’a pris soin de requérir la nécessaire autorisation du conseil. Protégeant les dirigeants négligents qui avaient contracté un cautionnement au nom de la société, alors que l’autorisation du conseil avait déjà expiré, la Cour a décidé qu’ils ne commettaient pas une faute séparable de leurs fonctions susceptibles d’engager leur responsabilité personnelle.
Une jurisprudence qui a le mérite de protéger le patrimoine personnel du dirigeant, mais qui, ajoutée au flou de la distinction obligation de moyens et obligation de résultat, rendent encore plus illusoire la protection du bénéficiaire de la garantie.
Malheureux finalement ceux qui croyaient en l’avenir doré des lettres d’intention. Victime des clairs obscurs jurisprudentiels mais aussi d’elle-même, la liberté contractuelle n’a jamais été aussi illisible pour les juristes. Face à cette richesse de la langue française, c’est un véritable défi rédactionnel que se lancent les praticiens dans l’élaboration de telles garanties.
En fin de compte à vouloir sans cesse contracter sans pour autant s’engager, là où l’intention ne vaut pas nécessairement l’action, l’adage tel est pris qui croyait prendre manifeste clairement le besoin d’éthique dans notre droit des affaires.
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